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Économie circulaire : pour des villes qui tournent rond



Après les révolutions industrielles et technologiques qui ont vu le jour aux 19 et 20èmes siècles, ce siècle-ci est probablement celui de la prise de conscience. En effet, on a pu observer que l’activité humaine, ses comportements et ses modes de fonctionnement avaient un impact indéniable sur les ressources de notre planète ainsi que sur son environnement. Pour répondre à ces enjeux, nombreux sont ceux qui se sont questionnés afin de repenser, notamment, nos modèles de consommation et de production. Parmi les solutions envisagées, l’économie circulaire semble être l’une des plus prometteuses. Mais de quoi parle-t-on exactement et que pouvons-nous faire à l’échelle de nos villes ?

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Charlotte Ferrara, chercheuse au Smart City Institute, propose, à travers cet article de revenir sur ces questions. 

L’économie circulaire : une alternative à l’économie linéaire 

Depuis quelques années, il apparaît que les pratiques actuelles de production et de consommation ont un effet néfaste sur l'environnement, ainsi que sur l'équité sociale et la stabilité économique à long terme. L' économie dite « linéaire », largement acceptée depuis tant d’années et construite selon le modèle "extraire-produire-utiliser-jeter", ne cesse de montrer ses limites. Il existe donc un besoin pressant de transition vers des systèmes plus durables. Cependant, évoluer vers un développement plus durable de nos sociétés et répondre aux besoins de tous sans compromettre ceux des générations futures nécessite un changement de paradigme. L’économie circulaire, en limitant le gaspillage des ressources et l’impact environnemental, ainsi qu’en intensifiant l’efficacité à tous les stades de l’économie des produits, fait sans aucun doute partie de la solution.

Bref retour sur l’économie linéaire

Dans une économie qui se base sur le modèle linéaire, de nombreux produits sont fabriqués rapidement au départ des matières premières, ils sont conçus pour être utilisés une fois ou pour une durée limitée sans possibilité d’être recyclés. Cette économie repose donc principalement sur les matières premières pour créer de la valeur. Cependant, depuis quelques décennies, ce modèle montre ses limites, ce qui a inspiré de nombreux dirigeants à repenser leur manière de travailler et notamment de se pencher sur l’économie dite circulaire.

L’économie circulaire : De quoi s’agit-il ?

Pour faire simple, l’économie circulaire, c’est apprendre à faire plus avec moins. Dans une économie circulaire, les matières premières et autres matériaux sont réutilisés indéfiniment. De cette façon, les déchets sont limités ou revalorisés, puisqu’ils sont, à leur tour, utilisés comme des ressources. La boucle est ainsi bouclée.
 
Dans ce modèle, les déchets non-valorisables et le recyclage sont à éviter au maximum. En effet, le recyclage ainsi que la revalorisation des déchets impliquent des coûts énergétiques et environnementaux supplémentaires. Ainsi, dans une économie circulaire, la qualité des matières premières est conservée autant que possible tout au long du cycle de vie d'un produit, de sa conception à son élimination.
 
Lorsque l’on parle d’économie circulaire, le concept d’écoconception prend donc tout son sens. Il s’agit de concevoir des produits qui respectent les principes du développement durable et de l'environnement, en recourant « aussi peu que possible aux ressources non renouvelables en leur préférant l'utilisation de ressources renouvelables, exploitées en respectant leur taux de renouvellement et associées à une valorisation des déchets qui favorise le réemploi, la réparation et le recyclage ». 

Définition de l’économie circulaire

Le concept d’économie circulaire ne possède pas de définition universelle car il reste sujet à des interprétations diverses. Néanmoins, de nombreux auteurs et acteurs s’accordent sur la proposition de Kirchherr, Reike, & Hekkert (2017) qui définissent l’économie circulaire comme  suit :
Définition

L'économie circulaire est un système économique qui remplace le concept de "fin de vie" par la réduction, la réutilisation alternative, le recyclage et la récupération des matériaux dans les processus de production/distribution et de consommation. Il opère au niveau micro (produits, entreprises, consommateurs), au niveau méso (parcs éco-industriels) et au niveau macro (ville, région, nation et au-delà), dans le but d'accomplir un développement durable, créant ainsi simultanément une qualité environnementale, une prospérité économique et une équité sociale, au bénéfice des générations actuelles et futures. Elle est rendue possible par de nouveaux modèles économiques et des consommateurs responsables.

Les trois grands principes de l’économie circulaire

La Fondation Ellen MacArthur (EMF), association caritative britannique de référence très active dans le domaine de l’économie circulaire, définit les trois grands principes clés de l’économie circulaire :
  1. "Concevoir hors des déchets et de la pollution" : le concept de "déchets" n'existe plus. Chaque produit est conçu pour pouvoir être désassemblé et réutilisé ou composté.
  2. "Maintenir les produits et les matériaux en usage" : la durée de vie des produits est prolongée par la réparation et l'entretien et les matériaux sont maintenus dans l'économie par la réutilisation, la re-fabrication ou le recyclage.
  3. "Régénérer les systèmes naturels" : ce principe est basé sur le concept "les déchets sont des aliments". Chaque nutriment retournant dans l'écosystème doit avoir un impact positif sur l'environnement.

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Youtube

Explaining the Circular economy

Animated video - Ellen MacArthur Foundation

Les 3R : Réduire, réutiliser, recycler 

Lorsqu'on traite d'économie circulaire, on se réfère couramment au concept des différents « R ». Les plus utilisés étant ceux figurant dans le modèle des 3R, pour «réduire», «réutiliser» et «recycler». Ce modèle possède une hiérarchie car les stratégies sont classées en fonction de leur niveau de circularité, la plus élevée étant la plus circulaire. Certains pays (par exemple, la Corée, le Vietnam) fondent même leur politique d'économie circulaire sur ce cadre. 
 
L’échelle de circularité la plus nuancée est toutefois celle des 9R (présentée dans le schéma ci-après), à commencer par le R0 qui se réfère tout simplement au terme « Refuser ». Cette échelle illustre donc quelles options de traitement sont préférables aux autres :
9R framework - FR
  • Les niveaux R0 à R2 - Refuser, repenser, réduire - concernent l'évolution de l'utilisation et de la conception des produits. Par exemple, éviter l'utilisation de gobelets en plastique et autres plastiques à usage unique, partager des voitures au lieu d’en posséder, ou encore fabriquer les mêmes produits avec moins de matières premières.
  • Les niveaux R3 à R7 - Réutiliser, réparer, remettre à neuf, re-fabriquer et réutiliser (dans un autre but) - concernent quant à eux la phase d'utilisation des produits. Ils visent à prolonger autant que possible le cycle de vie de ceux-ci. Les magasins de seconde main et les centres de réparation comme les Repair Cafés jouent par exemple un rôle clé à cet égard.
  • Enfin, les niveaux R8 et R9, recycler et revaloriser - concernent la fin de vie des produits. Les composants peuvent être réutilisés, tandis que les matériaux peuvent être recyclés et, en dernière option, incinérés avec récupération d'énergie.

La ville : berceau de la circularité 

Comme expliqué dans la définition présentée plus haut, la réflexion concernant l’économie circulaire doit s’opérer à différents niveaux : micro (produits, entreprises, consommateurs), méso (parcs éco-industriels) et macro (ville, région, nation et au-delà). Les villes ont donc un rôle à jouer dans la transition vers une économie circulaire
 
De plus, selon l'Organisation des Nations Unies, près de 70% de la population mondiale vivra en ville d'ici 2050, contre « seulement » 55% aujourd'hui et en Europe, environ 75% de la population vit déjà dans des zones urbaines. Ces enjeux démographiques auront très certainement un impact sur la consommation des villes, leur production de déchets ainsi que sur leurs émissions de gaz à effet de serre. De plus, elles devront faire face à de nombreux défis, tels que l'amélioration du logement, la gestion de la mobilité ou encore le maintien du développement économique. Dans ce contexte, l’économie circulaire, qui permet de repenser la façon dont les matériaux, les produits et les biens sont utilisés afin de créer de la valeur pour tous, représente une opportunité pour les villes et leurs dirigeants.
 
Si l’économie circulaire représente une opportunité pour assurer la durabilité des villes, ces dernières permettent quant à elles la mise en place d’écosystèmes circulaires et sont considérées comme catalyseurs de cette circularité. En effet, elles ont l’avantage de rassembler toutes les parties prenantes et de disposer, parmi leurs citoyens, des compétences créatives et innovantes nécessaires à son développement. C’est dès lors au sein des villes que des solutions circulaires aux problèmes et défis urgents sont initiées et nourries. De plus, les autorités compétentes peuvent diriger et accélérer la transition circulaire en installant une vision et une stratégie circulaires pour les villes, ou encore en optimisant les infrastructures et les réseaux logistiques, en connectant les parties prenantes entre elles ou en facilitant les initiatives circulaires. La ville circulaire permet ainsi de créer des boucles au niveau local pour générer de la valeur territoriale en incitant les acteurs du territoire à prolonger la durée d’usage des matières, ou, par exemple, en mettant en place des économies de la fonctionnalité ou de partage.
En identifiant et mettant en œuvre des solutions circulaires et donc en économisant ses ressources, la ville circulaire favorise la croissance, sécurise ses approvisionnement, crée des emplois, réduit ses émission de C02 et accroit sa compétitivité sur les marchés mondiaux. L’économie circulaire apporte ainsi de multiples réponses à de nombreux défis environnementaux, économiques et géopolitiques auxquels les villes du monde entier sont confrontées. 

Amsterdam : la première ville circulaire du monde ?

« À Amsterdam, nous voulons garantir une bonne qualité de vie pour tous, dans les limites naturelles de la Terre. Cela peut se faire dans une ville circulaire dans laquelle nous adoptons une approche plus intelligente des matières premières rares, produisons et consommons différemment, et où il y a plus d'emplois pour tous. Nous travaillons au bien-être, à la santé, à un cadre de vie agréable, à un environnement plus propre et à plus de justice, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des limites de la ville. » (Amsterdam Circular 2020-2025 Strategy, 2020).
 
Bâtir une économie circulaire fait partie des priorités de la ville d’Amsterdam. À la hauteur de ses ambitions, la ville a mis en place des objectifs concrets sur le long terme, dont les deux principaux sont la réduction de 50% de l'utilisation de nouvelles matières premières d’ici 2030 et devenir une ville 100% circulaire d’ici 2050
 
Afin de répondre à ces aspirations ambitieuses, la ville a rédigé la stratégie Amsterdam Circular 2020-2025 qui est fondée sur la théorie et le modèle du Donut développé par l’économiste britannique, Kate Raworth. Ce modèle explique la manière dont les sociétés et les entreprises peuvent contribuer au développement économique en respectant les limites planétaires, tout en répondant aux besoins sociaux.
 
 
Par ailleurs, la stratégie proposée par la ville reprend des objectifs intermédiaires dans 3 domaines : (1) les flux de déchets alimentaires et organiques ; (2) les biens de consommation ; (3) l’environnement bâti. Chacune de ces 3 chaînes de valeur étant associée à un certain nombre d’ambitions. A titre d’exemple, les ambitions liées à la deuxième chaîne de valeur - les biens de consommations - sont les suivantes :
  • Ambition 1 : La ville donne le bon exemple en réduisant sa consommation ;
  • Ambition 2 : Utiliser ce qu’ils ont avec plus de parcimonie ;
  • Ambition 3 : Tirer le meilleur parti des produits jetés.
Amsterdam n’est pas seule face à son ambition puisqu’elle travaille en collaboration avec le gouvernement néerlandais ainsi que l’Europe sur des politiques visant à rendre le monde plus propre et la société plus équitable. Elle collabore également avec les 7 districts de la ville ainsi que la société civile, le secteur privé, d’autres organisations publiques, le monde académique et les citoyens. 
 
Finalement, afin d’évaluer les progrès réalisés, Amsterdam développe un système de suivi avec lequel elle pourra déterminer l'impact social et écologique de sa transition vers une économie plus circulaire (Amsterdam Circular Monitor, 2020). Cet outil a donc pour but d’indiquer dans quelle mesure les objectifs sont atteints et d’identifier les domaines dans lesquels il reste encore des efforts à fournir.   

Quelles ambitions pour l’Europe et la Belgique ? 

Amsterdam n’est pas la seule ville ayant défini des objectifs circulaires. De nombreux gouvernements ainsi que l'Union européenne ont également des ambitions circulaires. En outre, les villes européennes présentent une forte densité de connaissances, de données et de capitaux. Cette concentration leur permet de faire avancer les programmes d'économie circulaire et de débloquer les avantages économiques, environnementaux et sociaux qui y sont liés. 

En Europe

Dans le cadre du nouvel agenda de l'Europe pour la croissance durable – le Green Deal européen – la Commission européenne a adopté, début 2020, le nouveau plan d'action pour l'économie circulaire, l'un des principaux éléments constitutifs dudit Green Deal. La transition de l'Union Européenne vers une économie circulaire permettra non seulement de réduire la pression sur les ressources naturelles mais également de générer une croissance et des emplois durables. C'est également une condition préalable à la réalisation de l'objectif de neutralité climatique de l'Union Européenne en 2050 ainsi qu’à l’enrayement de la perte de biodiversité.

En Belgique

La Belgique se veut également précurseur de l’économie circulaire et, grâce à cette dernière, d’une société plus durable. Le gouvernement fédéral et les trois régions autonomes du pays sont toutes alignées pour atteindre cet objectif (UNEP). Au cœur de cette transition se trouvent la science, la technologie et l'innovation. 
 
Le gouvernement bruxellois figure d’ailleurs parmi les pionniers à cet égard. Le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), Bruxelles Environnement, en collaboration avec Ecocity Builders et le World Council on City Data, ont élaboré un cadre conceptuel destiné à suivre la transition de la ville vers une économie circulaire, incluant des projets d'indicateurs afin de mesurer les progrès. Le PNUE travaille d’ailleurs avec Bruxelles (comme l'une de ses villes pilotes) sur une méthodologie pour mesurer le nombre d'emplois générés dans une transition vers une économie circulaire.
 
La Wallonie de son côté s’inscrit elle aussi clairement dans une logique d’économie circulaire. Adoptée en 2021, la stratégie de déploiement de l'économie circulaire —Circular Wallonia— a pour ambition de réduire les déchets et les coûts qui y sont liés ainsi que de créer de l’emploi et de l’activité innovante en Wallonie. Issue d'un processus participatif, cette stratégie comprend 10 ambitions traduites en plus de 60 mesures (SPW).

Un tournant à saisir pour les villes et communes

En conclusion, la mise en place d'une économie circulaire au sein des villes et communes peut donc apporter de grands avantages économiques, sociaux et environnementaux. Si celles-ci parviennent à réduire la congestion routière, à éliminer les déchets, réduire la pollution et à réduire les coûts, une productivité économique plus élevée et une croissance nouvelle qui en découlent leur permettront de saisir de nouvelles opportunités commerciales qui favoriseront le développement des compétences et de l'emploi, mais aussi l’amélioration de la santé urbaine et le renforcement des interactions sociales dans des espaces urbains plus attrayants et agréables à vivre, et donc de prospérer de manière durable.
 
Sources et références - Pour aller plus loin :
Articles scientifiques 
Rapports et sites internets 

Crédit photo : Martin Fu - Unsplash

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