BLOG - ANALYSE

Démarrer un projet de serre en toiture : les bonnes questions à se poser

Retour d’expériences des projets pilotes GROOF



Une Smart City, c’est aussi une ville/un territoire qui réfléchit à une production et une commercialisation durable et intelligente des aliments que nous consommons. Pour répondre à cet objectif, des serres en toiture émergent depuis quelques années dans le paysage urbain. Procédé innovant, il reste cependant encore complexe à mettre en place. Afin de se poser les bonnes questions lors de l’élaboration de ce type de projet, Nicolas Ancion, chercheur au Smart City Institute et au Centre de Recherches en Agriculture Urbaine (CRAU) de l’Université de Liège, nous présente le retour d’expériences de quatre projets pilotes européens (GROOF) dont l’ambition est de simplifier, à l’avenir, les démarches de futurs porteurs de projets en se confrontant, dès aujourd’hui, aux défis rencontrés. 

Serrure projet TERRA image largeImage du projet de serre en toiture "Serr'ure" de l'Université de Liège (Gembloux, Batiment TERRA). 

Qu’est-ce que l’agriculture urbaine ?

Les premières traces d’agriculture urbaine ont émergé dès l’apparition des premières villes. La révolution industrielle, l’exode rural, les guerres sont autant de facteurs qui ont influencé les formes d’agriculture en ville. Aujourd’hui, l’agriculture urbaine est toujours présente et se développe partout, notamment dans des espaces inexploités, comme les toitures.
« L’agriculture urbaine est la pratique de l’agriculture en milieu urbain et péri-urbain. Elle existe sous de nombreuses formes : jardins communautaires, potagers sur toits, fermes urbaines indoor, agriculture verticale et bien d’autres. Elle concerne aussi diverses méthodes d’exploitation telles que l’horticulture, l’élevage, l’aquaculture, l’agroforesterie ou encore l’apiculture urbaine.»* Parmi les avantages d’une telle pratique, on pourrait citer la contribution à la purification de l’air, le développement et la préservation de la biodiversité, la favorisation de la production et de la consommation locales ou encore la création d’emplois locaux. 
 
Bien que l’agriculture urbaine existe depuis très longtemps, celle-ci semble aujourd’hui de plus en plus intéresser les acteurs des territoires. En effet, elle est à la rencontre de nombreux enjeux qui sont à la base des débats actuels : changements climatiques, croissance de la population en milieux urbains, préservation de la biodiversité, volonté de consommer mieux et plus local, etc.
 
Les activités développées dans ce domaine sont d’ailleurs assez diversifiées. En effet, elles concernent aussi bien la mise en place de potagers urbains entretenus par des citoyens que le développement de serres en toitures, plus complexes à mettre en place. 
 
Dans le cadre de cet article, ce sont ces dernières qui ont retenu notre attention. En effet, ces initiatives innovantes demandent de se poser les bonnes questions avant de se lancer dans l’aventure. Nous faisons le point avec vous ! 

Serres en toiture : de quoi s'agit-il ?

Une serre en toiture est un espace de production végétal, professionnel ou non, installé, comme son nom l’indique, sur le toit d’un bâtiment. La plus-value de cette proximité entre le bâtiment et la serre réside dans l’optimisation énergétique de ces deux éléments. En effet, la production d’énergie (CO2 et chaleur) excédentaire du bâtiment pourra être réutilisée en économie circulaire par la serre. 
 
De telles installations ont généralement des objectifs transversaux : économique, sociaux et environnementaux.  

Retour d'expérience de 4 projets pilotes

Dans le cadre du projet GROOF, quatre partenaires ont décidé de lancer des projets pilotes et de développer leur propre serre en toiture selon différentes typologies et différents modèles de gestion, permettant ainsi d’éprouver les hypothèses et les objectifs évoqués plus haut :
Depuis 2018, ces quatre acteurs ont entrepris les démarches pour mettre en place leur projet de serre en toiture et ils ont, en un peu plus de trois ans, dû faire face à de nombreux challenges. 
 
La première étape, lorsqu’on s’intéresse à la construction de serres en toiture, est de se demander à quels défis nous serons confrontés et cela même avant de démarrer la construction de l’infrastructure. Le retour d’expérience des quatre partenaires GROOF a permis d’identifier plusieurs challenges en amont de la construction et d’apporter quelques premières pistes de réflexion pour en atténuer l’impact. Ces défis peuvent être répertoriés dans trois catégories différentes : 
  • Défis liés au lieu et à la construction 
  • Défis administratifs et légaux
  • Défis économiques
Revenons sur chacun d’entre eux en détails :

Sélectionner le lieu 

L’un des premiers challenges identifiés par l’équipe GROOF, et qui peut sembler évident, est que l’installation d’une serre en toiture nécessite que la toiture, en elle-même, réponde à trois critères minimums :
  1. Elle doit avoir une surface suffisante pour accueillir la serre, 
  2. La surface doit être capable de supporter le poids de celle-ci
  3. La toiture doit bénéficier d’une bonne exposition au soleil.
Trouver un toit qui répond à ces premiers critères n’est pas toujours choses aisée. 

Convaincre le(s) propriétaire(s) du lieu

Ensuite, lorsque l’endroit idéal a pu être défini, il faut que le ou les propriétaires de la toiture acceptent le projet. Or, lors du déploiement des projets pilotes, certains propriétaires ont pu émettre quelques réticences et/ou refuser d’héberger la serre. 
 
En effet, outre le caractère innovant d’une telle installation et les contraintes potentielles liées à l’infrastructure, la rentabilité incertaine d’un projet de serre en toiture compliquait les discussions et les négociations avec les propriétaires des lieux. 

Introduire les demandes de permis et tenir compte des régulations existantes

Une fois que les difficultés liées à la sélection de la toiture sont dépassées, surviennent alors les complications administratives. En effet, la construction de serres en toiture soulève de nouveaux questionnements qui ne sont, généralement, pas encore pris en compte par les administrations : est-ce considéré comme l’ajout d’un nouvel étage ? Quelles sont les législations urbanistiques de référence en la matière ? Etc. 
 
Les démarches dans ce domaine nécessitent donc des analyses poussées et requièrent plus de temps. 

Sélectionner les différents corps de métier

Lorsque les permis ont été obtenus et que la construction peut commencer, il faut ensuite engager les corps de métiers nécessaires à l’exécution des travaux. 
 
Or, plusieurs éléments sont à prendre en compte lors de cette étape. En effet, les serres en toiture étant pour l’instant assez rares et plutôt innovantes, les porteurs de projets des quatre serres pilotes ont été confrontés à la réticence de certains serristes et autres maître d’œuvres. En effet, ces projets s’avèrent plus contraignants que les projets classiques de serres au sol et sont donc également plus risqués.  
 
Par ailleurs, les standards fixés par les constructeurs sont également peu adaptés à la serriculture en toiture. En effet, comparé à des projets de serre plus classique (40 000m2 au sol à titre d’exemple), les projets de serres en toitures peuvent être considérés par les constructeurs comme de « micros projets » de par la surface qu’ils exploitent, bien plus restreinte (2000m2 en moyenne pour les projets GROOF). En demandant des dimensions spécifiques, les prix s’envolent alors. Les petits projets de serre en toiture ont donc peu de possibilités de négociation tant techniques que financières.
 
Par ailleurs, il règne un tel engouement pour les serres au sol actuellement, que les serristes ne sont pas forcément en demande de nouveaux projets. Leur manque de réactivité a donc, dans le cas des quatre projets pilotes, allongé la durée du processus. 
 
Faire appel à d’autres professionnels, comme des sociétés de construction, a donc été envisagé. Cependant, les corps de métiers indépendants non spécialisés ne connaissent pas forcément les exigences et les contraintes spécifiques liées à la construction d’une serre en toiture. Quant aux architectes, ils associent fréquemment les serres en toiture aux vérandas alors que les serres en toiture demandent des infrastructures plus complexes et des technologiques plus avancées afin de maximiser la production. 

Faire face aux contraintes techniques 

Tout au long de la construction, de nombreuses contraintes techniques doivent également être prises en compte. Citons par exemple la capacité de portance du bâtiment, la prise au vent de la serre, l’accessibilité du site, etc
 
Ces différents aspects devront donc être anticipés avant d’entamer la construction de la serre. 

Suivre un processus souvent long 

Puisque les projets de serres en toiture sont souvent des projets multi partenariaux, le processus de prise de décisions est parfois long. De plus, lorsque le porteur de projet n’est pas propriétaire du bâtiment, cela complique et allonge davantage le processus. 
 
Finalement, comme expliqué plus haut, les étapes en amont de la construction sont également impactées par le délai d’analyse du projets par l’administration et les demandes de devis aux éventuels fournisseurs. 
 
La phase de préparation est donc longue et chronophage. Dans le cas des projets pilotes GROOF, alors que les partenaires ont démarré leurs démarches en 2018, il a fallu attendre 2021 pour que la construction des serres débute*.
* Précisons toutefois que des retards dûs à la crise sanitaire de la Covid-19 ont également impacté la durée du processus. 

Supporter des coûts élevés

Les technologies innovantes utiles à la construction des serres en toiture sont onéreuses. Le prix des matériaux peuvent donc représenter un frein à leur développement. Certains projets pilotes ont donc dû revoir leurs attentes à la baisse afin de rentrer dans leur budget et pouvoir concrétiser leur projet. 

Identifier le business model adéquat

Comme tout projet entrepreneurial, il est important de définir le business model adéquat pour garantir la rentabilité économique de l’exploitation. De ce modèle commercial, dépendra non seulement la rentabilité future, mais aussi l’implication, ou non, de potentiels investisseurs. Il s’agit donc d’une étape cruciale. 
 
Cependant, chaque porteur de projet doit imaginer son modèle sur base des spécificités propres de son projet. Il n’existe en effet pas de modèle universel applicable quel que soit son projet. Chaque plan financier doit donc être adapté aux enjeux socio-économiques du lieu d’implantation, ainsi qu’aux contraintes techniques du bâtiment.  
Pour plus d’informations à ce sujet : consultez l’étude menée pour identifier les causes de la faillite du projet Urban Farmers, en Hollande.
Lire le rapport

Trouver un exploitant

Enfin, il peut arriver que le porteur du projet ne soit pas destiné à être l’exploitant de l’installation. Dans ce cas, il faudra trouver un exploitant enthousiaste, qui ne sera pas freiné par l’aspect innovant et la rentabilité économique incertaine du projet. 
 
L’exploitant d’un tel projet doit, par ailleurs, présenter des compétences techniques en matière de culture sous serre et/ou hors sol tout en étant assez polyvalent (connaissance à propos des différentes plantes cultivées, des différentes techniques de cultures, éventuellement posséder des contacts clientèles,…).
 

Quelques pistes de réflexion

Évidemment, bien que cet article ait pour objectif de vous présenter les différents défis auxquels vous pourriez être confronté.e.s dans le développement d’un tel projet, les quatre projets pilotes menés par l’équipe GROOF dont il est question dans cet article ont justement pour vocation d’identifier ces obstacles pour faciliter la mise en place de ces initiatives dans le futur. L’anticipation permettant souvent de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement d’un projet. 
 
De plus, quelques premières pistes de réflexion ont été identifiées pour palier à certains des challenges rencontrés
  • Il peut s’avérer plus aisé de construire la serre sur un bâtiment dont les porteurs de projet disposent de la maîtrise foncière
  • Pour éviter certaines complications (surcoûts, isolation inadaptée, etc.), il peut être préférable que la serre soit intégrée au schéma d’exploitation initial du bâtiment
  • La sensibilisation de la population – et par conséquent des différents acteurs – à cette nouvelle affectation des toitures pourrait permettre de réduire la méfiance des propriétaires des bâtiments porteurs. Bien que ce problème n’ait pas été observé dans le cas des projets pilotes Groof, le voisinage pourrait également éprouver quelques réticences quant au projet. La sensibilisation aura donc un effet positif sur lui aussi. 
  • Des démarches de « lobbying » peuvent être engagées auprès de l’administration afin d’insister sur les synergies énergétiques ainsi que sur les avantages économiques et sociaux que représentent l’installation de serres en toiture dans nos villes. 
  • Afin de rentrer dans leur budget, certains projets peuvent également revoir leurs exigences et leurs ambitions à la baisse. 
  • Disposer d’un réseau développé et s’entourer de partenaires clés pour diffuser sa recherche d’exploitant est un élément important de réussite.
  • Quant au modèle économique, il semble évident que la prise en compte du contexte d’implantation de la serre, lorsqu’on construit le projet et qu’on en définit les objectifs, constitue une piste solide pour en assurer la rentabilité. La serre ne doit pas être une fin en soi, mais un moyen d’atteindre les objectifs d’un projet préalablement établi.  
  • La diversification de la production et sa valorisation en circuits courts peut également permettre de dégager une marge plus importante le moment venu. 
  • Finalement, pour répondre aux challenges de financement, il est possible d’envisager le recours à des financements supplémentaires dans le secteur privé (peut-être plus à même de soutenir ce type de projets). 
Checklist Lancement projet serre toiture GROOF

Conclusion

Les quatre projets pilotes menés dans le cadre du consortium GROOF ont donc permis de mettre en évidence les challenges que les serres en toiture représentent et cela même avant leur mise en construction. 
 
C’est ainsi que nous avons pu prendre conscience que de tels projets nécessitent une profonde compréhension des difficultés que peuvent impliquer leur mise en œuvre. Il sera donc important de prendre en considération à la fois les aspects administratifs et légaux, mais également les enjeux liés au lieu d’implantation, à la construction et au modèle économique au moment d’envisager une telle solution. 
 
Nous parlons ici de solution, car au vu des challenges que représentent les serres en toiture et leur rentabilité sur le long terme, il faut que le projet soit envisagé non pas comme une fin en soi, mais plutôt comme une moyen de répondre à des objectifs précis basés sur le contexte d’implantation de la serre.  
Pour aller plus loin – Sources et références
 
Les retours d’expérience qui ont servi de base à cet article sont issus du rapport « Construction d’une serre en toiture - Retour d’expériences des 4 pilotes GROOF » consultable et téléchargeable via le lien ci-dessous. Au moyen de ce rapport, les auteurs ont souhaité à la fois faire l’état des contraintes existantes en amont, pendant et après un projet de construction de serre en toiture, mais aussi apporter quelques pistes de réflexion concrètes pour faire face aux défis rencontrés. 

Télécharger le rapport complet 
 
Lire aussi :

Partagez cette news